2006
Cairn
Emmanuel Brillet, « Scène judiciaire et mobilisation politique : Les actions en justice des représentants de la communauté Harkie », Pôle Sud, ID : 10670/1.wo2pyk
L’on assiste, depuis quelques années, à une rupture dans les logiques d’action collective de la communauté harkie, rupture marquée par la judiciarisation des revendications portées par cette communauté. De fait, les acteurs associatifs qui en sont issus, ou qui s’en réclament, ont multiplié les actions en justice, et ce principalement depuis l’été 2001. Ces actions (actions en diffamation, plaintes pour « apologie de crime de guerre », plaintes pour « crime contre l’humanité et complicité »), à la différence des procédures contentieuses classiques lancées pour régler des différends entre particuliers, ont une optique clairement revendicative, qui rompt avec le cours normal de la justice : l’idée est non seulement de faire justice mais aussi, et peut-être surtout, de faire mémoire. Le prétoire sert ici de strapontin politique et médiatique, et ce qui s’y exprime n’a pas vocation à y rester confiné, bien au contraire. Ces actions prennent place dans un contexte où, par-delà cet exemple spécifique, c’est l’ensemble des conflits de mémoire liés à la guerre d’Algérie qui cherchent dans le « strapontin judiciaire » un nouvel exutoire. Cette concomitance témoigne clairement de ce que le recours au tiers judiciaire apparaît désormais comme une modalité forte de la gestion et des usages politiques de la mémoire de la guerre d’Algérie. Mais pourquoi, au juste ? Que signifie cette sollicitation subite et tous azimuts de l’institution judiciaire plus de quarante ans après la conclusion des accords d’Évian et l’accession à l’indépendance de l’Algérie ? Et que penser du malaise, exprimé par certains commentateurs, d’un mésusage ou d’un « abus » de justice à ce propos ?