Laryngectomies et durées corrélatives au trait de voisement en français

Résumé Fr

Les pathologies laryngées provoquent d'importantes modifications de la parole et de la voix (Crevier-Buchman 2012), comme une baisse de l'intensité, de la vitesse d'élocution, un enrouement, etc. ; mais surtout, elles entraînent une grande irrégularité, voire une absence, de vibration des cordes vocales. Les perturbations phonatoires affectent principalement la réalisation correcte du voisement, trait essentiel dans les distinctions lexicales entre consonnes sourdes et voisées, dégradant l'intelligibilité de la parole pathologique. Or, le contraste de voisement s'accompagne aussi dans la plupart des langues (Butcher 1992, Chen 1970) d'une différence systématique de durée entre consonnes sourdes et voisées (plus longues) et entre les voyelles qui les précèdent, notamment en français en production (Meynadier & Gaydina 2013) et en perception (Meynadier et al. 2013) de la parole chuchotée. Cette étude analyse dans quelle mesure l'ablation partielle ou totale de l'organe phonatoire affecte les différences systématiques de durée consonantique et vocalique liées au voisement phonologique, considérées en bonne partie comme physiologiquement conditionnées par la vibration glottique (Rothenberg 1968, Ohala 1983). Trois types de phonation suite à une laryngectomie ont été sélectionnées : (TUCK) phonation laryngée après laryngectomie partielle avec reconstruction de type Tucker ; (OESO) phonation oesophagienne après laryngectomie totale et supplétive à la voix laryngée ; (PCHU) phonation pseudo-chuchotée produite exclusivement au niveau des articulateurs supralaryngés et supplétive à la voix oesophagienne. L'analyse porte sur la comparaison des durées acoustiques des voyelles pré-consonantiques et des obstruantes selon leur voisement entre ces trois phonations pathologiques et les phonations contrôles (laryngées non pathologiques) modale (MOD) et chuchotée (CHUCH). Une liste de mots incluant les obstruantes du français /b– p, t–d, k–g, f–v, s–z, ʃ–ʒ/ a été lue une fois par chaque sujet. Les détails du corpus et des comparaisons statistiques sont donnés dans le Tableau 1. Les résultats montrent que, dans toutes les phonations, les consonnes sourdes sont significativement plus longues que les voisées (Tableau 1). Malgré une diminution de la différence de durée observée lors du changement de la source acoustique (périodique vs non périodique) et/ou de l'organe phonatoire (laryngée vs non laryngé), l'écart de durée entre les consonnes sourdes et voisées est maintenu à un taux important (Figure 1, ligne bleu). Ainsi, bien que ces variations systématiques des durées consonantiques soient en partie induites physiologiquement, elles restent robustes aux changements de condition de phonation, normales comme pathologiques. Les durées consonantiques covariantes du voisement pourraient ainsi constituer des informations linguistiques représentées au niveau phonologique et/ou lexical. Pour les voyelles, en revanche, la différence de durée vocalique due au voisement de la consonne subséquente reste robuste à la modification de la source acoustique (MOD vs CHUCH vs TUCK), mais elle disparaît lors de l'ablation du larynx (OESO et PCHU) (Figure 1, ligne rouge). Un conditionnement physiologique, comme la synchronisation entre le geste laryngé et geste articulatoire pour la consonne suivante, pourrait être à la source de ces différences de durées vocaliques dues au voisement de la consonne. Ainsi, durée consonantique et durée vocalique corrélatives au trait de voisement pourrait répondre en français à des conditionnement différents : phonologique vs physiologique.