2017
Cairn
Adrien Paschoud, « Sur la destruction des jésuites de France (1765) de D’Alembert : pensée du politique et écriture polémique », Revue de métaphysique et de morale, ID : 10670/1.xan1yn
Paru de manière anonyme sous une fausse adresse, Sur la destruction des jésuites de France (1765) de D’Alembert retrace les raisons qui ont conduit à la suppression de la Compagnie de Jésus sur décision de Louis XV en novembre 1764. Placé sous l’égide de Tacite, l’ouvrage se propose d’offrir une chronique dépassionnée des faits, à l’inverse des innombrables pamphlets qui « respirent l’animosité et le fanatisme » (« Avertissement »). Les pages liminaires multiplient les marques de prudence, indispensables à l’impératif d’objectivité et au devoir d’instruire ; elles définissent en cela un ethos, celui d’un « auteur désintéressé » dont la plume fera apparaître la vérité. Or, cette impartialité revendiquée avec fermeté sert en réalité de levier à un art aigu de la controverse : l’ouvrage dresse en effet un portrait-charge de la Compagnie de Jésus. Au fil de pages qui oscillent entre une indignation froide et un ton discrètement voltairien, D’Alembert puise dans un vaste gisement de lieux communs anti-jésuites qu’il modélise à son gré : despotisme démesuré, goût du complot et de la sédition, velléités régicides, morale relâchée, mensonges et dissimulation, manipulation psychique, pratiques apostoliques suspectes... Il déploie alors un ample arsenal stylistique pour stigmatiser une congrégation dont la seule ambition est de « gouverner l’univers [...] par la religion ». Pourtant, au-delà de la virulence du propos, la question du politique, notamment la double allégeance des jésuites à l’ultramontanisme et au gallicanisme, intéresse D’Alembert autant que la théologie et la morale. Elle lui permet par contraste de penser à nouveaux frais la séparation des pouvoirs temporel et spirituel.