1995
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Jean-Christophe Attias, « Moïse cornu ? Lectures d'Exode 34, 29-35 », Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines (documents), ID : 10670/1.xf8yok
Sans prétendre trancher définitivement le débat exégétique relatif au sens du verbe hébraïque karan dans ce passage énigmatique, le présent article tente d’ouvrir quelques pistes de recherches. On s’efforce d’abord de cerner les raisons historiques, idéologiques, voire psychologiques, d’une préférence, largement attestée en monde juif, en vertu de laquelle c’est le visage « rayonnant » — et non « cornu » — que Moïse est redescendu du Sinaï. Revenant au texte, on tente ensuite de relever les potentialités de sens de la racine krn dans le corpus scripturaire et le lien privilégié qu’elle y entretient avec l’idée de puissance, puis de montrer que le face à face de Moïse avec Dieu, mis en regard d’autres récits bibliques apparentés (notamment Genèse 32, 23-33) a toutes les apparences d’un corps à corps, où le lutteur-intercesseur arrache sa bénédiction à Dieu. Que le prophète soit, au sortir de cette confrontation, affublé des signes visibles d’une virilité presque animale ne paraît dès lors plus invraisemblable. Il reste qu’ensauvager Moïse, pire l’animaliser, n’est sans doute pas, pour l’exégète, un geste anodin : c’est attaquer de front une ancienne et toujours vivante tradition intellectuelle et savante qui, postulant une différence fondamentale et irréductible entre la religion de l’Israël antique et les religions dites « sauvages », cherche en fait à protéger le statut privilégié et du judaïsme et du christianisme en les soustrayant à un certain type d’approche anthropologique.