12 juin 2023
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Ehrmann Sabine, « Le paysage comme observatoire de pratiques d'image », HAL-SHS : histoire de l'art, ID : 10670/1.xflx0m
«Le paysage est pour l’homme, depuis l’antiquité, une image du monde ». L’ habilitation à diriger des recherches que je soumets consiste à revenir sur cette déclaration liminaire qui ouvrait mon mémoire de maitrise en 1998, en émettant l’hypothèse que le paysage ne soit ni d’emblée ni toujours une image ou une représentation du monde. La partie biographique retrace les difficultés auxquelles m’a exposé ce présupposé iconique qui gouverne les approches phénoménologiques et culturalistes du paysage. Trois difficultés majeures ont égrené mon parcours d’enseignante et de chercheuse. La première concerne les rapports entre la photographie et le projet de paysage. La seconde a trait au juste positionnement pédagogique de l’enseignement des arts plastiques et visuelles par rapport à l’enseignement des techniques de représentation dans une école de projet, et particulièrement pour la formation des paysagistes. La troisième touche à la participation des images à l’activité de recherche et sa pédagogie. Ces difficultés structurent les chapitres du mémoire de synthèse et du recueil de travaux. Le mémoire original ambitionne d’amorcer une iconologie générale des pratiques d’images qui font paysage. Le paysage joue dans cette réflexion le rôle d'observatoire dans le sens que lui a donné Jonathan Crary, « […] observare signifie « se conformer à, respecter » : ainsi dit-on « observer » des règles, des codes, des consignes, des usages ». Si le paysage constitue un cadre particulier d'interrogation sur les pratiques d’images, c'est qu’il ouvre un espace problématique que la lecture de L’approche écologique de la perception visuelle de James Jérôme Gibson m’amène à formuler ainsi : le paysage serait le lieu d'une figuration sans objet et d'une perception sans image. Comment constituer une iconologie sur la base de cette double hypothèse ? Pourquoi le paysage entretient-il historiquement un lien si étroit avec les images si la perception de l’espace qui nous entoure est sans image ? Ce paradoxe est-il à même d’éclairer les écarts entre ce que les paysagistes perçoivent d’un lieu et l'appréhension ordinaire de ce que l'on nomme le « cadre de vie » ? Telles sont les questions qui ont initié le travail. La réflexion a été informée par une recherche iconographique préalable, qui a constitué une iconothèque de près de 4000 documents visuels concernant la Cité des frères Voisin et le parc Suzanne Lenglen, tous deux issus du projet d’aménagement de la Plaine Vaugirard à Paris. Ce corpus rassemble images d’archives du lieu et du projet, images produites par des habitants, et images produites à ma demande par neuf participant.es qui ont réalisé des résidences sur place. La fréquentation de ce corpus m’a amené à le raisonner sous quatre catégories de pratiques d’image : dépeindre un environnement, copier une image, visualiser un espace, figurer un lieu. Ces catégories ne visent ni des images, ni des savoir-faire image, mais des savoir-faire paysage avec des images. J’emprunte la définition de Dépeindre à J.J. Gibson, lequel entend par « dépiction » toutes tentatives picturales qui cherchent à transmettre par une image la perception synesthésique d’un environnement. Copier recouvre les pratiques d’images qui prennent, non plus l’environnement vécu mais une autre image comme référent. Il inclut les situations où le paysage est perçu in situ comme une image. Visualiser dit le champ vaste des pratiques d’image qui tendent à instrumenter la pensée au-delà de nos capacités de perception, et à montrer ce qui n'a pas, ou pas encore, de référence phénoménale. Figurer désigne enfin l’ensemble des pratiques iconographiques et iconologiques qui tendent à une identification et à une subjectivation des lieux, et qui mettent en place ce qu’Aby Warburg nommait des « constellations narratives ».