2016
Cairn
Audrey Hérisson, « Un traité de « nomadologie » pour penser les guerres du xxie siècle », Stratégique, ID : 10670/1.y3jvum
L’homme moderne est celui qui est tenté par la maîtrise de la nature et par l’exploration des grandeurs qui le dépassent. Cet idéal de l’« homme augmenté » fait percevoir la guerre comme génératrice de progrès, notamment technique. Ce progrès fait croître les capacités de l’homme à agir sur son environnement, à tel point qu’au xxe siècle la guerre semble avoir atteint une de ses limites extrêmes. Les deux guerres mondiales ont fait découvrir l’impasse de la « guerre totale », de la guerre poussée au maximum de l’escalade des moyens, en nombre et en masse. Le gigantisme de ces guerres est digne du « sublime » kantien, et l’acmé est peut-être atteinte pendant la Guerre froide avec la menace de guerre nucléaire, guerre capable de mettre un terme à l’humanité toute entière. Mais cette recherche de l’infini progrès, de l’« augmentation » perpétuelle ne s’est pas figée dans le gel de la Guerre froide. Elle semble avoir seulement changé de nature : de l’infiniment grand, elle se serait emparé de l’infiniment petit. Le xxe siècle aura été celui de la recherche des dimensions « ultra » dans la guerre ; le xxie siècle serait celui de la recherche des dimensions « infra » dans la guerre. Le Traité de nomadologie de Deleuze et Guattari, publié en 1980, donne par son approche du concept de guerre comme « machine de guerre » quelques clés qui permettent de penser ce changement. Aujourd’hui, en effet, de « nouveaux nomades des steppes » utilisent la technologie la plus moderne, et notamment Internet, pour passer « sous notre garde » – celle de la dissuasion nucléaire et de la supériorité conventionnelle de l’État – et nous déclarer une guerre d’un genre nouveau