12 décembre 2022
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Tchindji Houphouët Félix Yoboue, « Le viol comme arme de guerre en Côte d'Ivoire (1999-2010) : champs de causalité entre brisures, savoirs contaminés et vérités en ruines. Le plain-chant des narrations ethnophotographiques et du hors texte de 13 survivantes du peuple guéré à DUEKOUÉ en contre-configuration », HAL-SHS : sciences de l'information, de la communication et des bibliothèques, ID : 10670/1.yuw1ms
Les récits de treize survivantes de viols subis à Duékoué, ville carrefour située à l’ouest de la Côte d’Ivoire, lors du coup d'État manqué du 19 Septembre 2002 jusqu’à la crise postélectorale de 2010, constituent la matrice narrative de cette thèse. Ces 13 femmes sont des survivantes, avec la sidération, l’angoisse, le désespoir des survivantes. Où trouver encore du sens quand on a vécu ce qu’elles ont vécu et vivent encore dix ans après ? En effet, les survivantes continuent de vivre un enfer permanent, victimes de formes lentes de violence invisibles, une forme subtile d’assassinat social par la mise à l’écart brutale de la famille et de la communauté, par la forme à dominante patriarcale et occidentale d’une réparation irrespectueuse ; des conséquences collatérales peu ou pas documentées voire déniées. Cette thèse tente de proposer des réponses à trois questions essentielles. Comment faire avancer une recherche formellement plus complexe que d’autres, avec une réflexion sur les tensions de l‘histoire ivoirienne, les récits des survivantes, le récit du chercheur-baoulé-survivant et des propositions esthétiques pour l’écrire ? Comment écrire scientifiquement sur la vulnérabilité, la détresse et la souffrance et rester à distance ? Comment restituer le chant des acteurs-témoins dans l’expression d’origine, de ces « vies minuscules », avec la parole hachée, balbutiante, et le faire dialoguer avec la parole, vigoureuse et affirmée, d’un chercheur qui découvre en fait lors d’une journée particulière qu’il est en quête de sa propre parole, celle d’un survivant, enfouie dans une gangue cadenassée. Il fallait pouvoir rendre l’adhésion du chercheur baoulé à sa propre parole et dans sa foi en les capacités du langage à atteindre l’intouchable et l’invisible, un monde perdu, le passé lui-même. Il fallait tenter de multiplier les détours narratifs et les pistes formelles, et prendre le risque de rejeter certains codes universitaires narratifs pour rendre palpable, en transformant une matière difficilement maniable et hautement inflammable, cette violence vécue par les survivantes dont Michel Foucault dit : « que le plus dangereux dans la violence est sa rationalité ». C’est aussi pour cette raison, pour faire ressentir plus particulièrement les ondes lointaines de cette souffrance exprimée et la certitude que nous passons souvent à côté, que le choix des narrations photoethnographiques s’est imposé. Pour confronter chacun des lecteurs à sa propre relation à l’image et d’une manière plus subtile aux récits des survivantes. Ce qui amène ensuite à réfléchir sur l’énigme des apparences. « Lire ce qui n’a jamais été écrit ». Pour dire la violence dans sa vérité, seule une anthropologie de l’attention qui entrerait en résonance avec ce qu’Édouard Glissant nomme « les profonds », désignant ainsi « ce qu’il y a réellement, concrètement, en dessous de l’apparence », permet de ressusciter la dignité de vie des survivantes et rendre légitime l’écriture d’un chercheur engagé.