L’ordonnance de la CIJ du 26 janvier 2024, Afrique du Sud c. Israël : une décision façonnée par l’opportunité

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2024

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Marine Bonjour, « L’ordonnance de la CIJ du 26 janvier 2024, Afrique du Sud c. Israël : une décision façonnée par l’opportunité », Civitas Europa, ID : 10670/1.z419mh


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Le 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice a rendu une ordonnance en indication de mesures conservatoires dans l’affaire introduite par l’Afrique du Sud contre Israël concernant l’allégation de commission d’un génocide dans la bande de Gaza. Cette décision, extrêmement médiatisée, constitue la première décision internationale à portée obligatoire intervenant depuis le début de l’offensive militaire israélienne sur le territoire de la bande de Gaza. Cette ordonnance a été l’occasion pour les juges internationaux, de manière quasi-unanime, d’affirmer l’existence d’un risque plausible de génocide à Gaza. Grâce à cette qualification, la Cour est venue imposer six mesures conservatoires contraignantes à l’encontre d’Israël afin de protéger les populations palestiniennes contre ces actes potentiellement génocidaires. Si cette ordonnance constitue une première étape célébrée pour la protection des Palestiniens, le contenu de cette décision apparaît influencé par le contexte extra-juridique entourant cette affaire. L’influence de l’opportunité se retrouve nettement au stade du raisonnement mais également de manière plus ambivalente dans le cadre du dispositif. D’abord, les raisonnements développés à la fois par l’Afrique du Sud puis par la Cour internationale de Justice semblent avoir été construits dans le but unique de permettre une action de la Cour et l’imposition de mesures conservatoires. Dans ce sens, le choix de l’Afrique du Sud de porter son action sur la base de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 est doublement justifié par la nécessité d’un consentement israélien à la juridiction de la Cour et par la nécessité de se voir reconnaître un intérêt à agir. De plus, à la suite de cet opportunisme sud-africain, la Cour a été audacieuse dans la caractérisation des conditions requises à l’indication de ces mesures temporaires. On constate, dans ce cadre, une faiblesse argumentative de la part de la Cour qui utilise à son avantage l’absence de définition de ces critères. Ainsi, les justifications avancées par celle-ci ne reposent que sur des éléments factuels limités, qui n’apparaissent pas totalement convaincants. Par opposition à ces raisonnements, les considérations extra-juridiques ne semblent avoir exercé qu’une influence partielle dans le dispositif de cette décision. En effet, d’un côté, la Cour s’est limitée concernant les mesures conservatoires prises, en n'adoptant que les mesures strictement nécessaires pour répondre à la situation. Suivant l’obligation qui lui est imposée de rester dans le champ posé par sa base juridique de compétence et par les circonstances de l’espèce, la Cour n’a fait que réitérer des obligations prévues dans la Convention génocide et n’a ajouté qu’une mesure ciblée visant la fourniture d’aide humanitaire qui se rattache à l’hypothèse de violation la plus convaincante de cette Convention. Toutefois, d’un autre côté, la Cour a saisi l’opportunité qui lui était ainsi donnée de réaffirmer sa place centrale dans l’ordre juridique international. Cette ordonnance lui a permis de rappeler sa qualité d’organe principal de l’Organisation des Nations Unies, à la fois par un obiter dictum visant le conflit de manière générale et par le dépassement de l’effet relatif normalement associé à ses décisions. La Cour a également saisi cette occasion pour s’imposer comme une arme juridique majeure pour les États du Sud face aux États du Nord, venant contrarier les accusations de « deux poids, deux mesures » dans la justice internationale.

On 26 January 2024, the International Court of Justice issued an order indicating provisional measures in the case brought by South Africa against Israel regarding allegations of genocide in the Gaza Strip. This highly mediatised decision was the first binding international decision since the start of the Israeli military offensive in the Gaza Strip. The order was an opportunity for international judges to almost unanimously assert the existence of a plausible risk of genocide in Gaza. With this characterisation, the Court imposed six binding provisional measures on Israel in order to protect Palestinian populations against these potentially genocidal acts. While this order is a celebrated first step towards protecting Palestinians, the content of the decision appears to be influenced by the extra-judicial backdrop against which the case arose. The influence of this opportunity is clearly observable in the court’s reasoning but can also be found in a more ambivalent manner in the operative part of the decision. First, the arguments set out by both South Africa and the International Court of Justice appear to have been constructed with the sole aim of enabling the Court to take action and impose provisional measures. In fact, South Africa’s decision to base its action on the 1948 Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide is doubly justified by the need for Israel to consent to the Court’s jurisdiction and the need to be recognised as having a standing. Moreover, following South Africa’s opportunism, the Court was bold with its characterisation of the conditions required in order to indicate these temporary measures. We note that, in this framework, the Court provides weak arguments, using the lack of definition of such criteria to its advantage. Thus, the justifications offered by the latter are based only on limited and not entirely convincing factual elements. By opposition to this reasoning, extra-judicial considerations appear to have only partially influenced the operative part of the decision. Indeed, on the one hand, the Court restricted itself in terms of the provisional measures taken, by only adopting those measures that were strictly necessary to resolve the situation. In keeping with its obligation to act within the framework of its ground of jurisdiction and the circumstances of the case at hand, the Court simply reiterated the obligations set out in the Convention on genocide and only added one targeted measure providing for humanitarian support linked with the most convincing hypothesis of a breach to said Convention. However, on the other hand, the Court also seized the opportunity it was offered to reassert its central position in the international legal system. This order enabled it to reiterate its capacity as a key United Nations entity, both through an obiter dictum on the conflict in general and through the surpassing of the privity usually associated with its decisions. The Court also took this opportunity to assert itself as a key legal weapon to be used by southern states against northern states, challenging the accusation of “double standards” in international justice.

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