2007
Cairn
Gilbert Hottois, « Chapitre 3. L'éthique en comités », Journal International de Bioéthique, ID : 10670/1.z53axl
La gestion de sociétés technoscientifiques et multiculturelles, ouvertes et évolutives, n’est ni concevable ni réalisable sur la base de règles fondamentalistes et essentialistes, caractéristiques des sociétés closes et immobiles. Au sein d’une civilisation globale, les fondamentalismes ne sont guère acceptables que comme des croyances individuelles ou de communautés. Sur fond de notre civilisation en voie chaotique de globalisation ainsi décrite, quelles règles méthodologiques pour les comités de bioéthique ?Une première règle concerne la composition des comités : elle doit être pluridisciplinaire et pluraliste.La deuxième règle concerne la distinction des genres, moins évidente à une époque qui cultive le postmodernisme. Les « genres » qu’il est indispensable de distinguer sont : la science, l’éthique, la morale, le droit, la politique.La troisième règle concerne les procédures de conclusion.Une procédure de vote à la majorité après une information et une discussion limitée permet de conclure aisément et rapidement. Mais elle apparaît, en général, comme peu éthique, surtout si elle ne permet pas aux minorités de faire figurer, d’une manière explicite et argumentée, leurs avis divergents parmi les conclusions.Il faut éviter cependant également le « dissensus paresseux » : il consiste à ne pas engager vraiment la discussion interdisciplinaire et pluraliste, à se contenter d’exposer et d’expliciter chaque position, sous prétexte que le pluralisme est le respect de la diversité, la liberté de croire, de penser et de s’exprimer chacun pour soi ou au nom de sa communauté ou tradition. Une telle méthodologie « postmoderne », individualiste et communautarienne à l’extrême, est en porte-à-faux par rapport à la vocation éthique du comité.Il est donc capital qu’un comité d’éthique engage vraiment la discussion et exprime, dirions-nous, une préférence pour le consensus. Cette préférence est l’expression de sa nature « éthique » : dans ce mot (comme dans le mot « morale », d’ailleurs), il y a la référence à ce qui est commun, à ce qui unit et rend possible la vie sociale. La visée de consensus, l’idée qu’il vaut mieux s’entendre que s’ignorer ou s’opposer, est méthodologiquement prévalente en éthique. Mais à condition expresse que l’accord soit librement et consciemment accepté. Le danger symétrique de celui du « dissensus paresseux » qui perd de vue la visée de l’entente, est le « consensus forcé ».Les consensus pragmatiques sont extrêmement précieux et même indispensables dans nos sociétés complexes si l’on veut instituer des règles opératoires communes tout en préservant la liberté de penser et la diversité des croyances. Ils garantissent aussi la possibilité de rouvrir le débat : un accord pragmatique est sans commune mesure avec un dogme essentialiste ou une norme fondamentaliste, qui veut réguler non seulement les comportements mais encore la pensée.