2020
Cairn
Christian La Cassagnère, « On the Birth of the Keatsian Ode: In-scribing the Other », Études anglaises, ID : 10670/1.zdombw
Cette étude cherche à mettre en lumière les motivations qui poussèrent Keats à créer son ode telle qu’elle prit forme au sommet de son art lyrique, en mai 1819. Reconsidérant, au départ, l’écriture lyrique de Keats dans la forme qui lui est essentiellement associée jusqu’en avril 1819, celle du sonnet, et lisant ces textes comme, au fond, des « fragments d’un discours amoureux », on observe un trait étrange qui est l’absence du signifiant, la seconde personne, qui capterait le « toi » aimé dans l’énoncé : achoppement, lacune au cœur d’un discours amoureux qui assigne ainsi à l’objet le statut étranger, interdit, de l’Autre au sens lacanien du terme. On peut donc voir l’élaboration de l’ode comme l’effet d’un besoin fondamental, celui d’in-scrire enfin l’Autre dans l’espace de l’énonciation. L’ode keatsienne n’est donc pas seulement une nouvelle forme métrique, mais plus fondamentalement un nouveau langage : la mise en place d’une nouvelle grammaire poétique qui se donne à voir dans l’ode inaugurale, l’« Ode à Psyché ». L’« Ode à Psyché » est à lire comme un rituel qui établit un lien organique entre manque (l’Autre interdit) et création : le poème lui-même, qui instaure un « Toi » agrammatical (parce que désignant l’absent, la non-personne) dont l’absence nourrit le « chant ». L’écriture keatsienne rejoue ainsi le drame orphique tout en inversant sa signification : transformant l’échec d’Orphée (à retrouver l’Autre) en triomphe, celui de son chant. Ce que découvre l’Orphée keatsien, dans l’« Ode sur la Mélancolie », au bout de son voyage au royaume des morts, n’est pas l’Autre à retrouver, mais un[e] Autre à créer par la force de la « langue » : « Mélancolie voilée », figure fascinante qui devient le nouvel objet d’amour. Déplacement du désir, sublimation de l’amour inhérents à la poétique des odes, en lesquels Keats trouva sans doute, dans sa vie, son propre salut.