L’épopée orale turque d’Asie centrale. Inspiration religieuse et interprétation séculière

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2001

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Karl Reichl, « L’épopée orale turque d’Asie centrale. Inspiration religieuse et interprétation séculière », Études mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines (documents), ID : 10670/1.zi3n70


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The first chapter provides a short introduction to the Turkic oral epic of Central Asia (Bref aperçu de l’épopée orale turque d’Asie centrale). Among the various traditions of Turkic oral poetry, this and the following chapters focus on the epics of what is termed the « central traditions », i.e. the oral poetry of the Uzbeks, Uighurs, Kazakhs, Karakalpaks and Kirghiz. In these traditions different types of singers can be distinguished: baxši, aqïn, žïraw, manasči and others; these singers are in general professionals who have acquired their art and their repertoire in the course of a more or less formal training with one or more master singers. Although there are many similarities between these traditions, there is also a fair amount of variety as to the form, the genre and the manner of performance of the epics. Epics can be in verse, they can be in a mixture of verse and prose; the verse can be in octosyllabic lines, often alliterating, or in lines of eleven/twelve syllables, often rhyming; in the singers’ repertoire there are both heroic epics and lyrical love romances (dastans); the singer might perform the epic in chanting without the accompaniment of an instrument (as the Kirghiz manasči), he might accompany himself on a plucked or bowed instrument, and he might be further accompanied by another musician or even a small ensemble. In the second chapter the influence of Islam on the Central Asian oral epics is discussed (Le héros et le saint: l’influence islamique sur l’épopée turque d’Asie centrale). Islamic influence is found in epics and oral narratives of an overtly religious persuasion as well as in secular heroic epics and romances. The former (called džañnāma in Uzbek) celebrate the deeds of the Prophet and his followers and successors, their wars against the infidels and their achievements as Moslem leaders. These narratives have also influenced non-religious epics such as for instance the Uzbek dastan of Yusuf and Ahmad. An important role in these and other epics is given to various helper saints, in particular to ‘Alī, the Forty Saints, the Twelve Imams, and various pirs and holy men. In discussing the heterodoxy in the invocations of these saints it is argued that the most important source of religious inspiration in the epics must be sought in the popular Islam of Central Asia, which incorporates many pre-Islamic elements. In the third chapter the pre-Islamic strata as found in the Central Asian epics are further examined (Le héros et le chamane: les strates archaïques de l’épopée turque). It is shown that there is an intimate connection between epic singer and shaman. This emerges from the use of terms like baxši for both the bard and the shaman, from the symbolism of the singer’s instrument, comparable to that of the shaman, and from initiation visions and sicknesses found both among bards and shamans. A closer view at two Altaian epics (Kögütey and Altay Buučay) shows that in this tradition the world of the pre-Islamic Turks is well preserved, but similar archaic strata can also be detected in the epics of the central traditions, among them the transformations of the hero and his horse, heroic adventures in the underworld, various mythological figures and the reanimation of the hero. The fourth chapter is concerned with questions of interpretation (“Sens” et “conjointure”: problèmes d’interprétation). With reference to the distinction between sens and conjointure as made in the introduction to Chrétien de Troyes’ Érec et Énide it is argued that an oral epic such as Qoblan or Manas should not only be interpreted on the textual level but must also be interpreted from a pragmatic point of view. While a close reading of the epic as a work of verbal art (plot, characterisation, style, narrative structure and narrative technique) is indispensable for its analysis, a fuller understanding presupposes a knowledge of the function an epic performance has in an oral (or partially oral) society and the place an epic occupies in its value system. Heroic epics like Qoblan or Manas are felt to be historical (by singer and audience) and they play an important role in identifying the roots of an ethnic group and in re-inforcing its identity. While these heroic epics are believed to reflect historical truth, they have nevertheless undergone considerable transformation in the course of their transmission, thus conforming in the plot and motif structure to mythic patterns as described by M. Eliade. The final chapter examines the actual performance of Central Asian oral epics (La voix vive: aspects de la performance). With the help of the terminological apparatus of the ethnography of communication the various constituents of an epic peformance are described and the event character of oral epic poetry is underlined. By the same token, the comments on the musical aspects of performance in the first chapter are elaborated, with examples from the various central traditions of Turkic epic poetry. While the recitation of epic contains many dramatic elements, the performance of Turkic epic poetry does not cross the borderline to drama as in some African or Asian traditions. It is stressed in concluding that as an oral art the performance aspects of Turkic epic are of the utmost importance for its full appreciation.

Le premier chapitre offre une courte introduction à l’épopée orale turque d’Asie centrale. Parmi les diverses traditions de poésie orale des peuples turcs, c’est aux épopées de ce que l’on nomme les « traditions centrales » que ce chapitre et les suivants sont consacrés, c’est-à-dire à la poésie orale des Ouzbeks, des Ouïghours, des Kazakhs, des Karakalpaks et des Kirghizes. On distingue dans ces traditions différents types de bardes : baxši, aqïn , žiraw, manasči, etc. ; ce sont en général des professionnels qui ont acquis leur art et leur répertoire au cours d’un apprentissage plus ou moins formel auprès d’un ou de plusieurs maîtres bardes. Bien que l’on relève maintes ressemblances entre ces traditions, elles connaissent néanmoins une assez grande diversité quant à la forme, au genre et au mode d’exécution des épopées. Les épopées peuvent être en vers, elles peuvent être en un mélange de vers et de prose ; les vers peuvent être de huit syllabes, souvent allitérés, ou de onze ou douze syllabes, souvent rimés ; le répertoire du barde comporte à la fois des épopées héroïques et des épopées lyriques (dastan) ; le barde peut exécuter l’épopée en chantant sans l’accompagnement d’un instrument (tel le manasči kirghize), il peut s’accompagner lui-même sur un instrument à cordes pincées ou jouées à l’archet, et il peut aussi être accompagné par un autre musicien, voire par un petit ensemble. Le second chapitre traite de l’influence de l’islam sur l’épopée orale turque d’Asie centrale. Cette influence se rencontre non seulement dans les épopées et les récits oraux où le prosélytisme religieux est manifeste, mais aussi dans les épopées héroïques et lyriques profanes. Les premières (dites džanñāma en ouzbek) célèbrent les hauts faits du Prophète, de ses compagnons et de ses successeurs, leurs guerres contre les infidèles et leurs succès en tant que chefs musulmans. Ces récits oraux ont aussi influencé des épopées non religieuses, telle le dastan ouzbek de Yousouf et Ahmad. Dans ces épopées et dans d’autres également, un rôle important est attribué à divers saints auxiliaires, en particulier à ‘Alī, aux Quarante saints, au Douze imams, à différents pir et saints hommes. Lors de la discussion sur le caractère hétérodoxe que présentent les invocations de ces saints dans les épopées, il est soutenu que la plus importante source d’inspiration religieuse de celles-ci est à rechercher dans l’islam populaire centre-asiatique, qui incorpore de nombreux éléments pré-islamiques. Dans le troisième chapitre, les strates pré-islamiques rencontrées dans les épopées d’Asie centrale sont examinées de plus près. On montre l’existence d’une étroite connection entre le barde et le chamane. Celle-ci est mise en évidence par l’usage de termes comme baxši pour désigner l’un comme l’autre, le symbolisme de l’instrument du barde, comparable à celui du chamane, les visions et la maladie initiatiques dont ils font tous deux l’expérience. Une étude plus poussée de deux épopées altaïennes (Kögütey et Altay Buučay) montre que cette tradition a bien préservé le monde des Turcs pré-islamiques, mais des strates archaïques semblables peuvent aussi être détectées dans les épopées des traditions centrales, parmi lesquelles on peut mentionner les transformations du héros et de son cheval, les aventures héroïques dans le monde souterrain, diverses figures mythologiques et la réanimation du héros. Le quatrième chapitre s’attache aux questions d’interprétation. Se référant à la distinction entre « sens » et « conjointure » telle qu’elle est faite dans l’introduction de l'Énec et Énide de Chrétien de Troyes, l’auteur soutient qu’une épopée orale comme Qoblan ou Manas ne doit pas être simplement interprétée au niveau du texte, mais qu’elle doit l’être aussi d’un point de vue pragmatique. Certes, une lecture attentive de l’épopée en tant qu’œuvre d’art verbal (intrigue, caractéristiques, style, structure narrative et technique narrative) est indispensable à son analyse, mais une compréhension plus complète présuppose une connaissance de la fonction que remplit l’exécution de l’épopée dans une société orale (ou partiellement orale), ainsi que de la place qu’occupe l’épopée dans son système de valeurs. Une épopée héroïque comme Qoblan ou Manas est ressentie comme historique (par le barde et par son audience), et elle joue un rôle important tant dans l’identification des racines d’un groupe ethnique que dans la consolidation de son identité. Si ces épopées héroïques sont jugées refléter une vérité historique, elles n’en ont pas moins subi une transformation considérable au cours de leur transmission, se conformant ainsi par leur intrigue et la structure de leurs motifs aux modèles du mythe tels que les a décrits M. Eliade. Le dernier chapitre étudie l’exécution de l’épopée orale d’Asie centrale. Les divers constituants de l’exécution d’une épopée sont examinés à l’aide de l’appareil terminologique de l’ethnographie de la communication, et le caractère d’événement de cette poésie orale épique est souligné. De même, les commentaires sur les aspects musicaux de l’exécution abordés au premier chapitre sont approfondis, et illustrés d’exemples issus des diverses traditions de la poésie épique turque. Même si la récitation d’une épopée comporte de nombreux éléments dramatiques, l’exécution de la poésie épique chez les Turcs ne franchit pas la frontière qui la sépare du drame comme c’est le cas dans certaines traditions d’Afrique ou d’Asie. La conclusion met l’accent sur le fait que, l’épopée relevant de l’art oral, les aspects liés à son exécution sont de la plus haute importance pour pouvoir pleinement l’apprécier.

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