2000
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Protée ; vol. 28 no. 2 (2000)
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Alexis Nouss, « « Deux bouchées de silence » : une lecture de Paul Celan », Protée, ID : 10.7202/030592ar
« Deux bouchées de silence » : le syntagme (disposé sur deux lignes : « zwei/ Mundvoll Schweigen », comme pour en intégrer la signifiance au souffle de la lecture) conclut le poème « Sprachgitter », « Grille du langage », du recueil éponyme de 1959. Paul Celan, poète de l'impossible langagier, héritier d'Hölderlin pour de plus sombres temps ? Une certaine vulgate critique se plaît à une telle présentation. Il nous faut être plus exigeant. Car le silence, Celan n'y va pas, il en vient, comme le dit H. Meschonnic (Pour la poétique II) et le projet scripturaire consistera à en conserver la trace, résister à y succomber. Étudier la poétique celanienne permet de voir comment le silence a évolué de sa valeur thématique (née de l'historicité de l'écriture) à une intégration dans l'écriture, une « modalité de représentation » (M. Auclair/ S. Harel). La dislocation morphologique, syntaxique, textuelle des poèmes celaniens sont la manifestation la plus évidente de cette torsion de la langue, de ce marquage équivalant à introduire dans la plénitude énonciatrice une béance traduisant un travail de l'absence isomorphe à celui suscité et accueilli dans l'histoire par la barbarie génocidaire. Trouver une langue du deuil propre à dire le deuil de la langue puisque le langage n'échappa pas au désastre. Mais le silence n'en est pas le terme, il agit comme la pulsion interne d'une telle langue que figure métonymiquement « das erschwiegene Wort », « le mot silencié » du poème « Argumentum e silencio » dédié à René Char (De seuil en seuil).