2009
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Relations industrielles ; vol. 64 no. 2 (2009)
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Daniel Faulx et al., « Psychological Harassment in the Workplace : Case-Study and Building of a New Analysis Model », Relations industrielles / Industrial Relations, ID : 10.7202/037922ar
Le harcèlement psychologique au travail constitue une thématique de recherche importante en psychologie du travail et des organisations depuis une quinzaine d’années. De nombreux travaux antérieurs ont permis la description des comportements types et des conséquences pour la victime et l’organisation. En revanche, on connaît encore relativement peu les processus relationnels qui interviennent dans ces situations complexes. Par processus, nous entendons un ensemble de comportements des acteurs – qu’il s’agisse d’individus, de groupes ou d’ensemble plus larges – qui interagissent entre eux pour constituer un processus relationnel global dont on peut caractériser le mode de fonctionnement. De plus, les auteurs ont généralement favorisé un niveau d’explication (organisationnel, du groupe, interpersonnel, etc.), prenant peu en compte la manière dont ces processus interagissent entre eux.Le but de cet article est d’explorer les processus à l’oeuvre dans les situations de harcèlement et les modes d’interactions qu’ils entretiennent entre eux afin de déboucher sur une proposition de modèle d’analyse. La méthodologie utilisée est celle de l’étude de cas et l’analyse des données est réalisée par analyse de contenu thématique et classificatoire des propos recueillis. À partir de six entretiens d’une heure à une heure et demie avec une personne qui s’estimait victime de harcèlement moral, l’étude de cas s’est appuyée sur un premier modèle d’analyse qui prend en considération quatre niveaux d’explications (personnel, interpersonnel, du groupe et organisationnel), et comprend l’étude des interactions entre ces différents niveaux. Le cas a été choisi parmi un ensemble de cas issus d’un de doctorat en psychologie et sciences de l’éducation.Six observations ont été tirées de cette analyse. (1) L’importance de réaliser les analyses sur plusieurs niveaux, ce qui a permis de dépasser une lecture uniquement personnelle ou interpersonnelle du cas, alors même que les données invitaient à un tel regard. (2) L’existence dans les situations de harcèlement de deux types de processus (processus victimatoires et processus conflictuels), ce qui a permis de montrer que des processus conflictuels peuvent apparaître dans les situations de harcèlement sans pour autant que l’on doive conclure qu’il n’y a pas de harcèlement. (3) Le fait que ces processus conflictuels et victimatoires peuvent coexister à des niveaux d’analyse différents. Cette observation permet de dépasser l’opposition classique entre situation de harcèlement et situation conflictuelle, et montre qu’une situation de harcèlement peut tirer sa dynamique destructrice du fait même que ces deux modes relationnels se renforcent réciproquement. (4) L’existence d’interactions entre processus, ce qui a permis de montrer que les différents processus relationnels qui apparaissent à différents niveaux se renforcent les uns les autres, ouvrant ainsi vers une démarche d’analyse qui dépasse une étude par niveaux par une étude qui étudie les interactions entre niveaux comme élément d’explication de la situation. (5) La variabilité d’une situation à travers le temps a permis de montrer que l’équilibre des forces dans une situation de harcèlement est évolutif, et que les conclusions de l’analyse seront étroitement dépendantes de la période de référence temporelle qui sera prise en compte par l’analyste. (6) Enfin, cet article met en lumière la nécessité de distinguer deux types d’influence des processus contextuels, un premier qui a un impact direct sur la relation interpersonnelle de harcèlement, un deuxième qui concerne des processus qui entourent la relation et agissent sur elle par le biais des premiers.À partir de ces différentes conclusions, nous développons un nouveau modèle d’analyse qui comprend deux axes : l’axe des niveaux d’analyse et l’axe du mode relationnel, fondé sur les distinctions entre schismogenèses symétrique et complémentaire.Ce nouveau modèle prend en compte les différentes observations. Il est multi-niveau (conclusion 1), permet de définir des zones d’interaction entre processus (conclusion 4) et est présenté de manière intégrée, permettant de distinguer les deux niveaux d’influence (conclusion 6). Il permet par ailleurs de prendre en compte la distinction entre relation conflictuelle et relation victimatoire (conclusion 2) et de montrer comment elles peuvent apparaître au sein d’une même situation (conclusion 3). Enfin, le modèle propose une vision en un temps donné qui met en lumière les équilibres de forces momentanés qui caractérisent la situation (conclusion 5). De manière plus générale, ce modèle est processuel, dans le sens où il s’intéresse à des enchaînements de comportements au sein d’une relation, intégrateur, dans le sens où il permet d’étudier les différents modes d’interactions et d’impact entre les différents acteurs, et dynamique au sens où il prend en compte les équilibres et déséquilibres de forces entre les protagonistes. À ce titre, il peut constituer une base pour de futures analyses de cas dont le but pourrait être d’identifier des processus relationnels et de décrire différentes situations de harcèlement moral ou psychologique.