2022
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Élisabeth Bautier et al., « Projet e-FRAN « Twictée pour apprendre l’orthographe » (TAO). Rapport scientifique final », HAL-SHS : sciences de l'éducation, ID : 10670/1.dvwihw
Projet financé dans le cadre du programme e-FRAN (Programme d'Investissement d'avenir, PIA2) et piloté par l'Université Paris-Est Créteil (coordination : Thierry Pagnier).L’objectif du projet TAO (Twictée pour apprendre l’orthographe) est d’étudier et éventuellement d’améliorer les effets d’un dispositif pédagogique collaboratif numérique d’enseignement de l’orthographe sur les apprentissages des élèves et sur le développement professionnel des enseignants. L’enquête conduite dans ce cadre par les unités de recherche CIRCEFT et LIDILEM s’est déroulée en 2017-2018, où des données ont été recueillies dans quarante classes d’enseignants volontaires exerçant en cycle 3, choisies dans des milieux contrastés des académies de Créteil et Grenoble, participant pour moitié au dispositif Twictée. Les élèves ont passé des tests d’orthographe, et pour chaque classe, des séances dédiées à différentes activités orthographiques ont été filmées, codées et, pour certaines, transcrites, et des productions et cahiers d’élèves ont été recueillis. Les enseignants ont rempli un questionnaire et ont participé à des entretiens afin d’explorer leurs perceptions des compétences des élèves, leurs pratiques déclarées, leurs conceptions de la langue, leur engagement dans le dispositif et dans la collaboration. Dans chaque classe, dix élèves de niveaux scolaires différents ont été interviewés (entretiens métagraphiques, rapport à l’orthographe, pratiques de l’écrit). Enfin, des corpus d’échanges à distance entre enseignants membres du réseau ont été recueillis.Au plan théorique, on sait depuis longtemps qu’il n’y a pas d’effet des technologies sur les apprentissages, mais des effets éventuels de certains usages des technologies, d’où l’importance accordée dans l’étude aux situations mises en œuvre, et aux interactions langagières qui les accompagnent.D’une manière générale, l’enquête statistique montre que les élèves progressent davantage dans l’année en fonction de leur niveau initial et de leur niveau dans le cursus : les moins performants progressent plus que les plus performants, et les plus jeunes plus que leurs ainés, ce qui s’explique peut-être par un effet plafond à ce moment du développement de leurs connaissances orthographiques et grammaticales. Si on observe une différence significative sur quelques performances orthographiques de base (formes courtes et fréquentes) des élèves twictants par rapport aux non twictants, on ne note pas de différence en ce qui concerne les procédures orthographiques complexes (chaines d’accords, distinction -er/-é…), quel que soit le contexte socioscolaire, contrairement à ce que pensent les enseignants et concepteurs du dispositif. Ces résultats sont sans doute liés au caractère peu contraignant du dispositif, qui autorise des mises en œuvre très diverses, et ne peut de plus pallier un éventuel déficit de formation des enseignants sur les questions d’orthographe ou sur le rôle des interactions verbales dans les apprentissages. Le questionnement grammatical notamment, tel qu’il est conduit lors des corrections, participe peu à l’identification par tous les élèves des savoirs sur le fonctionnement de la langue.Sur le rôle de l’activité numérique dans l’apprentissage de l’orthographe, l’élaboration collective des twoutils (messages envoyés aux auteurs des erreurs orthographiques dans la dictée pour justifier l’orthographe des mots erronés corrigés) produit davantage d’effet que son élaboration individuelle, mais la quête de la balise (mot-clé dans une liste finie de catégories orthographiques) s’apparente plus à une quête de réponse juste qu’à un moyen de comprendre et catégoriser les erreurs. On observe également un double décalage, d’une part entre les potentialités supposées du dispositif et la manière dont il est réellement exploité par les enseignants, d’autre part entre les effets qu’ils en attendent et la manière dont les élèves le reçoivent. Ces décalages s’expliquent en partie par le fait que les enseignants privilégient les dimensions pédagogiques du dispositif, non spécifiques du numérique (motivation, dynamique de groupe…) aux dépens des dimensions didactiques (travail de fond sur les structures de la langue, rôle de l’écrit dans la communication à distance…). Du côté des élèves, si la plupart pense que le dispositif favorise les apprentissages, bien peu sont en mesure de dire en quoi, et ils peinent à expliquer le rôle d’une balise ou de la rédaction d’un twoutil (pourtant à la base du raisonnement orthographique) qui demeure difficile pour les moins performants. L’étude des échanges langagiers entre élèves dans cinq classes twictantes, attentive au travail des moins performants, montre en effet que leur démarche est plus répétitive que réflexive, de l’ordre de l’étiquetage plus que du raisonnement, alors que celui-ci devrait précéder les phases de normalisation orthographique et d’automatisation.Or, l’analyse des entretiens avec les enseignants (twictants ou non) montre précisément que tous considèrent qu’apprendre à orthographier revient principalement à faire mémoriser et produire des automatismes, même si on peut distinguer deux types d’approches, plus ou moins intégratives. On est frappé par le béhaviorisme sous-jacent à ces conceptions, qui laissent de côté la dimension conceptuelle des apprentissages scolaires. Du côté des twictonautes, les objectifs de collaboration ou de motivation, qui concernent aussi bien les élèves que les enseignants, restent les principaux facteurs invoqués pour expliquer l’engagement dans ce dispositif.L’étude des interactions en classe lors de moments de correction de dictées ou de twictées montre également que la participation des élèves aux échanges ne les implique pas nécessairement dans une réflexion sur le fonctionnement de la langue, et que les conceptions qui s’y manifestent laissent voir l’orthographe comme une somme de savoirs ponctuels qu’il s’agit de rappeler sans cesse.Du point de vue des élèves, l’étude des entretiens métagraphiques confirme celle des échanges en classe, et montre principalement que l’orthographe n’est pas perçue comme un système par les moins performants d’entre eux. En ce qui concerne les classes twictantes, l’étude d’entretiens réalisés avec quinze élèves considérés par leurs enseignants comme les moins performants montre que s’ils apprécient le travail de groupe, ils n’y sont pas pour autant toujours cognitivement engagés, et que les différentes visées du dispositif sont mal comprises. Son amélioration nécessiterait d’une part un étayage important et structurant de la part de l’enseignant, notamment autour du choix des balises et de l’élaboration des justifications, d’autre part une révision de la typologie proposée (le dicobalise) afin qu’elle soit plus restreinte, plus précise et construite avec les élèves, enfin la mise en place d’un tutorat entre pairs et l’individualisation de la partie rédactionnelle de la tâche.L’avant-dernier chapitre de ce rapport présente les raisons invoquées par les enseignants de leur implication dans le dispositif Twictée, et ses effets éventuels sur leur développement professionnel. Si participer au réseau vient renouveler le plaisir d’enseigner, les questions d’orthographe ou d’enseignement avec le numérique ne sont pas au cœur des échanges, et on note une absence de controverses professionnelles. L’étude spécifique de la préparation des dictées par les enseignants montre ainsi que la collaboration au sein du réseau favorise plutôt l’expression d’un soutien mutuel que la circulation des savoirs nécessaires ou l’analyse collective des difficultés rencontrées par les élèves. Précisons cependant que la modestie des effets du dispositif actuellement observés ne doit pas conduire à sous-estimer trop rapidement l’intérêt potentiel des réseaux connectés, loin d’être encore à maturité.Le rapport s’achève par une série de recommandations et de points d’attention.